#ACCP Un adjoint est le premier agent de la DGFiP condamné au titre de la RGP

La publication du premier arrêt qui condamnerait un cadre de la DGFiP sous l’empire de la nouvelle responsabilité des gestionnaires publics était attendue depuis plusieurs semaines.

Rendu le vendredi 3 mai, avec deux autres arrêts très instructifs, l’arrêt S-2024-0715 « département de l’Eure » nous apporte son lot d’enseignements sur les gestionnaires publics condamnés, la qualification de la faute et le caractère significatif du préjudice.

Les adjoints sont condamnés

Le premier arrêt condamnant un gestionnaire public de la DGFiP condamne l’adjoint du comptable et l’adjoint du directeur des finances de la collectivité.

Il confirme l’extension du champ des justiciables introduit par l’article L131-1 et le fait qu’en tant qu’acteur de la gestion publique, un adjoint n’est pas « un modeste collaborateur du comptable public » (paragraphe 80).

L’adjoint a été condamné en raison des fonctions de comptable mandataire qu’il exerçait en l’absence du comptable en titre. Si la condition d’intérimaire a pu justifier une circonstance atténuante pour l’adjoint du directeur des finances de la collectivité (paragraphe 93), celle-ci n’a pas été accordée à l’adjoint du comptable. Le juge ne s’est pas étendu sur les motivations de la distinction des cas si ce n’est que la faute ait été commise par l’adjoint du comptable dans son « cœur de métier » (paragraphe 80).

Cet arrêt n’en est pas moins lourd de conséquences pour nos organisations car il ouvre la voie à la dissociation entre hiérarchie et responsabilité.

La gravité de la faute

Deux paragraphes traitent de la gravité de la faute. Au cas d’espèce, le juge s’est prononcé sur l’importance des sommes en jeu (paragraphe 78) et la multiplicité des défaillances (paragraphe 79).

Le paragraphe 78 de l’arrêt mentionne que : « compte tenu […] de l’importance des sommes [...], l’infraction aux règles de contrôle de la dépense […] est constitutive d’une faute grave ».

Nous sommes ainsi définitivement instruits que parmi les critères définissant la gravité de la faute figure le montant des sommes. Pour autant, le qualificatif « d’important » n’est pas explicité. Des développements jurisprudentiels seront nécessaires pour définir l’adjectif le plus flou du dictionnaire.

Nous pouvons lire, paragraphe 79, que « l'ensemble des défaillances dans le contrôle des pièces justificatives […] constitue en soi une faute grave ». Le juge conditionne la gravité de la faute à la multiplicité des défaillances commises. Une extrapolation optimiste voudrait qu’une unicité de défaut dans le contrôle de la dépense n’emporterait pas la gravité de la faute.

La gravité de la faute est renforcée par le mésusage des consignes de la DGFiP (paragraphes 84 à 88). Autrefois demanderesse de précisions réglementaires, l’ACCP sera désormais plus prudente quant à ses demandes de réglementation tant l’usage fait par le juge s’effectue au détriment du comptable.

Le caractère significatif du préjudice

Au cas d’espèce, le préjudice subi par le département de l’Eure est de 790 K€ alors que son budget se situe à 677 M€. Ainsi, le préjudice ne représente que 0,1 % du budget de la collectivité lésée, ratio que ne mentionne pas l’arrêt.

Le juge retient de l’existence d’un plan de contrôle sélectif (CHD mentionnant un visa exhaustif des dépenses supérieures à 13.000 €) qu’il impliquait une « vigilance accrue » pour les dépenses supérieures à 13.000 €. Le juge se livre à un glissement sémantique dangereux pour les comptables en confondant exhaustivité et vigilance accrue. Ce dernier qualificatif est difficilement compréhensible car l’exercice du visa des dépenses ne connaît que deux catégories de dépenses : celles qui ne doivent pas être visées, et celles qui doivent être contrôlées. Aucun degré de vigilance n’est déterminé par la réglementation. Nous ne comprenons pas comment cette construction jurisprudentielle pourrait se traduire en mesure opérationnelle pour les comptables.

Autre usage inattendu du CHD et seul argument utilisé par le juge (paragraphe 91), celui-ci justifie le caractère significatif du préjudice par le seuil de visa exhaustif utilisé dans le plan de contrôle CHD : « le préjudice est significatif, comme l’illustrent au demeurant les seuils retenus en matière de contrôle hiérarchisé de la dépense ». Sans autres éléments d’appréciation, le caractère significatif du préjudice demeure dans le côté obscur de la responsabilité des gestionnaires publics.

Les circonstances atténuantes et aggravantes

Le juge accorde une circonstance atténuante liée au caractère frauduleux des montages à l’origine du préjudice et à la période choisie par les escrocs pour perpétrer leur forfait (le cœur de l’été où les principaux professionnels en charge du traitement de ce type de dossier étaient en vacances).

Les conditions d’exercice des missions, à l’exception du caractère frauduleux et de la désorganisation liée à la période de congés, ne font l’objet d’aucun développement par le juge.

Les peines

L’adjoint du comptable et l’adjoint au directeur des finances de la collectivité ont été condamnés à 2.500 € d’amende chacun. L’arrêt étant muet sur ce point, il serait périlleux de déduire de cette égalité de peine une égalité de responsabilité dans la survenance du préjudice entre les deux gestionnaires condamnés.

Ne pas respecter la liste des pièces justificatives de la dépense, qui était une erreur sous l’empire de la responsabilité personnelles et pécuniaire des comptables, est constitutif d’une faute grave par l’avènement de la responsabilité des gestionnaires publics. Celle-ci, en supprimant la remise du Ministre, a banni de son champ la faculté pour la DGFIP de prendre le relais sur les questions d’exercice des missions, de qualité du CHD et de prise en charge collective d’un risque de fraude aux virements qui malgré une vigilance de tous les instants reste prégnant.