#RGP Arrêt "commune d’Eguilles" - Commentaire du bureau de l'ACCP
Arrêt « commune d’Eguilles » Commentaire résumé
L'arrêt S-2025-0647 « commune d’Eguilles » illustre une dérive de l'application du régime para-pénal de responsabilité des gestionnaires publics, instauré par l’ordonnance du 22 mars 2023. Cette ordonnance prévoit que seuls les gestionnaires ayant commis personnellement une faute grave entraînant un préjudice significatif peuvent être condamnés. Cependant, ce jugement remet en cause ces critères fondamentaux.
Les faits
La commune d’Eguilles a passé un marché pluri-annuel pour la réfection de sa voirie. Deux comptables successifs ont payé des mandats erronés, mais seul le premier a été condamné. Le juge a exclu toute analyse de la responsabilité des services de l’ordonnateur, pourtant à l’origine des mandats erronés.
Points clés du jugement
Personnalisation de la faute :
Le comptable condamné n’a pas pu désigner les agents responsables des erreurs (& 45). Était-ce à lui de le faire sachant qu’il ne disposait pas de ces informations ? Le juge, en omettant de requérir ces informations auprès de la DGFiP, a condamné le chef de service es-qualité, en contradiction avec les principes de personnalisation de la faute.
Gravité de la faute :
Le juge a considéré toute erreur sur la liquidation des dépenses comme « grave en elle-même » (& 26), sans examiner la gradation de la gravité. Cela contrevient à l’ordonnance, qui impose une distinction entre fautes graves et non graves.
Préjudice significatif :
Malgré la récupération des sommes indûment versées, le juge a retenu un préjudice potentiel dès la mise en paiement. Ce raisonnement, basé uniquement sur une potentialité, marque un revirement jurisprudentiel.
Conséquences :
Responsabilité étendue des comptables :
Le jugement impose un contrôle exhaustif personnel a priori de l’ensemble des mandats sur marché, impossible à appliquer avec les moyens des SGC.
Pouvoir prescripteur du juge :
En écartant le CHD (& 28), le juge outrepasse les prescriptions réglementaires et hiérarchiques, imposant des obligations techniques irréalistes.
Exemplarité punitive :
Le comptable condamné est une victime de la RGP, considérée innocente par ses pairs, dans un contexte où les erreurs similaires existent dans tous les SGC. Cette situation soulève des inquiétudes majeures sur la sécurité juridique et financière des gestionnaires publics.
En conclusion, cet arrêt dévoie les principes du régime de responsabilité des gestionnaires publics en étendant abusivement la responsabilité des comptables, tout en négligeant les responsabilités réelles des ordonnateurs.
L’importance de l’amende soulève de nombreuses questions. Faute d’éléments explicatifs, les collègues du comptable condamné remettent en question le caractère plus doux du nouveau régime de responsabilité.
Arrêt « commune d’Eguilles » Commentaire développé
L’ordonnance du 22 mars 2023 qui fonde le régime para-pénal de la responsabilité des gestionnaires publics, ainsi que la communication intensive de la DGFiP et de la Cour des Comptes lors de sa mise en œuvre, prévoit que peuvent être condamnés les gestionnaires publics ayant commis personnellement une faute grave, celle-ci ayant engendré un préjudice significatif.
L’arrêt S-2025-0647 « commune d’Eguilles » balaie ces critères : la personnalisation de la faute, la gravité de la faute, le caractère significatif du préjudice.
L’arrêt
La commune d’Eguilles a passé un marché de travaux pluri-annuel à bons de commandes pour la réfection de sa voirie. Des deux comptables successifs ayant payé des mandats de paiement dont la liquidation était erronée, seul le premier a été condamné.
Alors que la responsabilité des comptables est discutable (voir supra), celle des services de l’ordonnateur est incontestable dans l’émission de mandats dont la liquidation était erronée. Il est surprenant, pour ne pas écrire choquant, que le jugement exclu l’analyse de la responsabilité des services de l’ordonnateur.
La personnalisation de la faute
L’ordonnance de 2023 prévoit la personnalisation de la faute contrairement au système antérieur basé sur la responsabilité es-qualité du comptable public.
Le comptable a été condamné dans cette affaire car il n’a pas été en mesure d’indiquer quels agents avaient commis la succession de fautes dans le visa des mandats (& 45). Le juge a condamné es-qualité le chef de service comme il l’a précédemment fait dans l’arrêt « commune d’Ajaccio ». Cependant, alors que le Maire d’Ajaccio devait, en qualité de chef ultime de la structure, maîtriser son organigramme, le comptable condamné ne dispose pas des informations requises par le juge. Le système d’information ne permet pas au comptable de connaître l’identité de l’agent ayant commis la faute lors du visa de la dépense. Seule la DGFiP a accès à cette information.
Il appartenait au juge de requérir cette information auprès de la DGFiP pour identifier les auteurs des fautes. En s’abstenant de le faire, le juge a délibérément écarté le principe de la personnalisation de la faute et a condamné le comptable par substitution.
Le juge rappelle les obligations du chef de service de contrôler les activités menées au sein de la structure qu’il dirige (& 46). Cependant, ce rappel ne montre aucun défaut d’organisation de la structure ni manque de contrôle de second niveau. De plus, un contrôle de second niveau, exécuté a posteriori, n’aurait pas supprimé le préjudice né dès le paiement selon l’argument du juge. Le comptable n’a donc pas été condamné au titre de ses obligations de chef de service.
En s’abstenant de répondre aux observations du comptable sur l’insuffisance de moyens mis à sa disposition, le juge arrête l’imputation de la faute au comptable chargé de l’organisation du travail sans examen de la responsabilité éventuelle de sa hiérarchie, pourtant responsable de l’attribution des moyens. Cet examen ne sera même pas effectué au niveau des circonstances atténuantes de l’affaire.
Ainsi, d’une chaîne complète de responsabilités : ordonnateur – agents du comptable – comptable (deux comptables successifs) – hiérarchie du comptable, le juge n’aura retenu qu’un comptable sur deux et omis le reste de la chaîne de responsabilité.
La gravité de la faute
Pour le juge, est « grave en elle-même » la faute consistant à « méconnaitre les obligations de contrôle de l’exactitude des calculs de liquidation » de la dépense (& 26). Cela signifie qu’il n’existe pas de gradation dans la gravité de la faute. Toute erreur de visa sur la liquidation de la faute constitue une faute grave. En niant la possible existence d’une faute dénuée de gravité, le juge enfreint les prescriptions du législateur qui, en qualifiant expressément de grave la nature de la faute pouvant engendrer une condamnation, a imposé de distinguer les fautes selon leur gravité et exclu que celles dénuées de gravité puissent emporter une condamnation. Le moyen employé par le juge devrait emporter la cassation du jugement pour une inexacte application de la loi.
Le juge relève que « l’importance de l’enjeu financier contribue aussi à qualifier la gravité de la faute » (& 27).
Le juge prend soin de distinguer l’enjeu financier du préjudice financier significatif. Cependant, cette précision est de faible portée puisqu’un enjeu financier fort génère un préjudice significatif. Ainsi, le lien entre la gravité de la faute et le caractère significatif du préjudice est maintenu par le juge ce qui contrevient à la double conditionnalité posée par l’ordonnance de 2023.
Suivre le raisonnement du juge ouvre la voie aux condamnations basées uniquement sur l’importance du préjudice (ce dernier qualifiant automatiquement toutes erreurs de faute grave).
In fine, le juge reconnaît (& 31) que « le critère de gravité (de la faute est) nécessaire à la caractérisation objective de l’infraction ». Pour autant, il n’applique pas ce principe.
Le préjudice significatif
L’exécution complète du contrat liant la commune à son fournisseur a permis la récupération des sommes indûment payées. Ainsi, le préjudice potentiel né de l’erreur de liquidation ne s’est pas définitivement concrétisé.
Cet arrêt condamne donc un comptable sur une potentialité. Le juge se justifie en indiquant que le préjudice existe dès la mise en paiement quelle que soit l’issue financière du contrat et quand bien même celle-ci se conclut par la non-réalisation de la potentialité. Il justifie ce revirement de jurisprudence par le changement de nature du système judiciaire. Le système de la RPP estimait la réalité du préjudice au moment du jugement car il était de nature compensatoire alors que le nouveau système, basé sur le principe de la sanction de la faute, estime le préjudice au moment de la commission de la faute.
Cependant, le juge n’applique pas ce dernier raisonnement puisque les deux comptables ont commis les deux actions alors que seul l’un des deux a été renvoyé devant la Cour ; la responsabilité du deuxième ayant été écartée au cours de l’instruction.
L’application du principe énoncé par le juge aurait renvoyé devant la Cour les deux comptables. Celui ayant permis la résorption du préjudice aurait vu sa peine diminuée en fonction de cette circonstance atténuante.
En niant la nécessaire appréciation du critère de gravité de la faute pour ne retenir que son contexte, en condamnant es-qualité un chef de service au mépris de la personnalisation de la faute, et en condamnant un innocent sur la base d’un potentiel préjudice, le juge, par cet arrêt, contrevient aux trois piliers fondamentaux de la RGP.
Les conséquences de l’arrêt
La fin du NRP
Le juge impute la responsabilité du dysfonctionnement du visa des dépenses au comptable car sa fonction lui imposait de vérifier l’exacte liquidation des factures (& 44) en raison de leur importance pour la collectivité. Un SGC gérant plusieurs centaines de collectivités, cela revient à transférer sur la personne physique occupant la fonction de comptable une charge de travail excédant un temps complet. Il est donc urgent de scinder les SGC en autant de structures qu’ils contiennent de personnel et d’affecter dans ses nouveaux postes comptables un seul et unique agent, le comptable, puisque seul ce dernier doit effectuer le visa.
Aucun comptable n’est en mesure d’effectuer seul le travail de visa demandé par le juge. Et ce n’est pas pour cela qu’il est payé. Le juge souligne le caractère exclusif du maniement des fonds confié au comptable public par le décret GBCP du 7/11/2012. Mais il fait une application dévoyée du terme comptable public en l’assimilant à la personne physique occupant la fonction de comptable public. Il détourne ainsi le décret GBCP de 2012 qui n’emploie le terme « comptable public » que pour le distinguer de celui d’ordonnateur.
Le pouvoir prescriptif du juge
Parce que l’amende imposée par le juge ne peut être remise, ce dernier dispose d’un pouvoir prescripteur de fait sur les comptables qui va au-delà de leur hiérarchie et du pouvoir réglementaire.
En écartant le CHD (prévu par le décret GBCP de 2012 et promu par toute la chaîne hiérarchique de la DGFiP) pour imposer au comptable le visa des premiers mandats de marchés publics le juge contrevient aux prescriptions hiérarchiques et aux possibilités techniques des systèmes d’information.
La fin du CHD
Le juge reproche au comptable l’absence de visa du premier mandat (& 28) quand bien même celui-ci ne devait pas être contrôlé puisque non sélectionné par le CHD.
Pour se conformer à la prescription du juge, le système d’information doit véhiculer l’information « premier mandat d’un marché à bon de commandes », la réglementation doit prévoir l’obligation pour l’ordonnateur de spécifier cette caractéristique sur leurs mandats, et le CHD doit prévoir ce critère.
Dans l’attente de ces évolutions, seul le contrôle exhaustif a priori de tous les mandats reçus dans les SGC permet au comptable de protéger sa responsabilité. Ce moyen est hors de portée des comptables en raison des effectifs alloués aux SGC. En effet, le CHD est centré sur les enjeux. Le juge apporte une appréciation assez extensive sur ce point. Les paiements litigieux s’élèvent à 3 M€ pour 74 mandats payés (§20 et 27), soit environ 40.000 € par mandat. Pour le juge, ce montant est suffisamment significatif pour relever de l’action personnelle du responsable d’une structure maniant plusieurs centaines de millions d’euros par an.
Le contrôle de second niveau
Le juge impose la mise en œuvre d’un contrôle de second niveau (& 46). Le contrôle interne conçu et tracé par la DGFiP, mené par les comptables, n’est pas suffisant puisque celui-ci ne prévoit pas systématiquement le contrôle de second niveau du visa de la dépense.
Cependant, ce dernier n’exonère pas la responsabilité du comptable qui est acquise dès le paiement.
La fin du contrôle a posteriori
L’infraction est constituée dès lors qu’a été méconnue l’obligation de veiller au respect des règles et procédures légalement requises. En application des dispositions précitées du CJF, il revient à la Cour de relever les infractions aux règles d’exécution des dépenses, (§ 40).
Le fait d’avoir rétabli les comptes n’a pas suffi à dégager la responsabilité du comptable car « il n’est pas prouvé que le dommage causé ait été intégralement réparé, la restitution tardive des sommes en cause n’ayant pas été assortie du versement des intérêts légaux ».
En outre juge rappelle son pouvoir d’appréciation en matière de dispense de peine.
Ce coup de menton marque la fin du contrôle a posteriori.
L’infraction naît le jour où elle est constituée. Une pleine et entière régularisation qui interviendrait a posteriori et qui dégagerait la responsabilité du comptable est à l’appréciation du juge.
A ce stade et en l’absence de remise gracieuse, la chambre du contentieux revient sur une modalité de contrôle prônée et organisée par la DGFIP qui permet d’assurer la soutenabilité des missions de visa.
L’identification des agents auteurs de faute.
Le juge condamne le comptable, faute pour ce dernier de pouvoir désigner les collaborateurs acteurs des défauts de visas (& 45). La carence de l’instruction du juge en matière de recherche des auteurs de fautes impose à tous les chefs de service de la DGFiP de connaître, à tout moment, l’identité de l’agent auteur d’une action. Cette information doit être apportée directement par le système d’information au chef de service car c’est à lui que le juge demandera la preuve de ce moyen d’exonération de sa responsabilité.
L’exemplarité de l’affaire
Le comptable condamné est une victime pour l’exemple. Les faits qui lui sont reprochés existent dans tous les SGC.
L’amende n’étant pas assurable, quel cadre de la DGFiP sera aujourd’hui assez fou pour risquer son patrimoine tous les jours en ouvrant la porte de son bureau ?
Personne ne peut se prémunir des circonstances qui ont abouti à ce jugement.
Pour le bureau national de l’ACCP
Le Président de l’ACCP
Laurent ROSE-HANO